Femmes migrantes et grossesse, les Causeries

La Maison des Familles, à Bordeaux, accueille tous les quinze jours des femmes migrantes enceintes. Psychologue, sage-femme du Département, traductrices y nouent un dialogue très riche au gré de Causeries où chacune apprend beaucoup de l’autre.

Amel* est arrivée d’Algérie au mois de juillet dernier. Déjà maman, elle vit cependant un événement inédit : sa deuxième grossesse en France avec le terme prévu au mois de décembre. Ce sont aussi ses premiers pas, ce lundi après-midi, dans les locaux de la Maison des Familles, rue Kléber à Bordeaux.  Maîtrisant très bien le français, elle lance en souriant : « Je découvre, je ne sais pas trop à quoi m’attendre mais c’est sûr que vivre sa grossesse en Algérie et ici, c’est très différent. Je vais voir ce que je peux apprendre. » Amel va le mesurer : ici, il s’agit d’échanger et les femmes qui l’entourent, sont également certaines d’apprendre beaucoup en l’écoutant.

C’est le principe même du groupe Les Causeries dont elle a accepté de vivre pleinement les temps forts. Un groupe qui est porté par le service de la consultation transculturelle de l’hôpital Saint-André, entité du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, et dont la responsable est le docteur Claire Mestre.

Estelle Gioan, psychologue clinicienne au service de consultation transculturelle du CHU, son explication est éclairante.

« Nous avons mis en place en 2011 ce groupe de parole autour de la grossesse, de l’accouchement et des pratiques autour du nouveau-né. Nous y suivons les principes de la clinique transculturelle : la prise en compte des différentes cultures, l’approche groupale et les langues. Cette action s’inscrit dans la lutte contre l’isolement et la prévention des interactions précoces mère-enfant et notamment la transmission du trauma. Les rendez-vous sont exclusivement animés par des femmes. Les futures mamans nous sont adressées, pour la plupart, par les sages-femmes de protection maternelle et infantile (PMI) du Département. Nous étions d’abord hébergées à la Maison du Département des Solidarités (MDS) de Bordeaux Saint-Jean avant d’être accueillies à la Maison des Familles, rue Kléber. Tout se fait dans l’échange le plus libre possible. Les femmes issues de pays étrangers sont habituées à des discussions en groupe. Les professionnelles sont plus impressionnées qu’elles. »

Les femmes enceintes qui sont reçues viennent de nombreux pays et continents. Ces derniers mois, si le plus grand nombre d’entre elles était issu de Guinée Conakry, d’autres arrivaient de la Sierra Leone, du Gabon, du Nigéria, du Soudan ou de la Côte d’Ivoire mais aussi hors d’Afrique, d’Afghanistan et du Brésil. Une richesse culturelle aussi vaste nourrit les discussions et permet de belles découvertes. « C’est essentiel pour nous d’aller à la rencontre des pratiques, des particularités mais aussi des attentes de ces femmes qui arrivent dans une société aux codes très différents » précise Estelle Gioan.

Ce lundi après-midi, autour d’Amel et d’Estelle Gioan, deux étudiantes écoutent et prennent des notes. Maëlis poursuit des études de médecine en Irlande. En stage au service de la consultation transculturelle du CHU, elle se nourrit de ces temps de rencontre : « C’est très important pour moi de découvrir d’autres pratiques du soin mais j’ai aussi appris énormément de choses sur le plan culturel. » Sarah, étudiante en psychologie à Bordeaux, également stagiaire, partage son opinion : « Ce stage est tout à fait singulier. Il permet un apprentissage du groupe très intéressant. »

Non loin des deux étudiantes, dans ce cercle ouvert, Yamina Ghemari a pris place. Avec une formation de sociologue, d’origine algérienne, elle est traductrice, maîtrisant les différentes formes de la langue arabe comme celles des dialectes du Maghreb.

« Je suis ces consultations depuis 2019 et c’est très intéressant. C’est une autre forme de l’interprétariat que je peux exercer par ailleurs. Là, nous touchons à la vie des femmes, à l’intime. Nous ne pouvons pas nous contenter du mot à mot. La traduction juste est essentielle. » Lui prête habituellement main forte Silvia Molina, anthropologue de formation et qui traduit en anglais.

Ikram, elle, est sage-femme mais en Algérie. Ce lundi est pour elle un premier jour d’intégration au cœur de l’équipe : « C’est une vraie découverte, tant l’échange entre professionnelles qu’avec ces femmes qui se livrent, qui nous font confiance. » Gwenaëlle Herry acquiesce. Sage-femme de PMI à la MDS de Bordeaux Saint-Jean, elle anime ces Causeries en alternance avec sa collègue Cassandra Duhant.

« C’est essentiel de pouvoir sortir du champ médical, d’élargir au contexte social mais aussi et surtout culturel. Ces femmes, au-delà de leur fragilité, de la précarité qu’elles peuvent vivre, ont beaucoup à nous apprendre. Nos métiers s’en trouvent enrichis. »

Amel quittera ce cercle de discussion avec quelques réponses, d’autres questionnements sans doute mais surtout la certitude d’avoir rencontré des femmes sur lesquelles elle peut véritablement compter.

Pour en savoir plus, vous pouvez lire Bébés d’ici, mères d’exil, ouvrage collectif sous la direction de Claire Mestre, Collection 1001 BB, Éditions Erès, Toulouse, 2016.

*Le prénom de la future maman a été changé par souci d’anonymat.